Mon "témoignage" pour les funérailles de M. Gelin

Publié le par François-Xavier Gaëtan Gelin

Très beau sermon écrit par M. l'abbé Claude Barthe qui suivit avec fidélité et discrétion François-Xavier Gelin pendant les derniers mois de sa longue agonie. Le titre même est l'intitulé donné par ce prêtre...

 


« Je serai la Lumière de ton âme » : c’est cette parole de Notre-Seigneur à sœur Josefa que Francois-Xavier Gelin a voulu en tête de son faire-part de décès, dont il avait réglé la composition, comme il avait sobrement et dignement pris congé de chacun, dans la plus émouvante tradition de l’ars moriendi de nos pères. 

 

Si je ne l’avais vu mourir, je dirais que François-Xavier Gelin fut vraiment un grand Monsieur. Mais parce ce que Dieu a voulu que je l’assiste, ou plutôt que j’assiste à son œuvre en lui dans ses derniers moments, après qu’il ait reçu l’extrême-onction des mains du chanoine Jayr, il me faut attester qu’il a été beaucoup plus. Dieu lui a demandé d’aller bien plus loin, bien plus profond. Il lui a même demandé de dépouiller aussi cela – je dis bien de dépouiller, et certainement pas de renier –, à savoir tous les dons de la nature qu’il avait reçus en abondance, pour n’être plus qu’un chrétien tout nu, si j’ose dire, entre les mains de son Maître. Et il l’a accepté les yeux grands ouverts. Car le plus saisissant pour son épouse, qui a porté vaillamment l’interminable épreuve, pour ses proches, pour moi, est que François-Xavier Gelin a suivi son Maître en sa Passion dans une totale conscience, fixant du regard que vous connaissez tous le mystère terrible et sublime de l’amour dévorant de Dieu.


Je ne voudrais au reste nullement faire le panégyrique de celui auquel j’ai apporté les secours du souverain Prêtre. Le défunt me reprocherait d’empêcher les siens de prier pour le repos de son âme, tant il était humblement certain de passer par le Purgatoire et parce que cela aurait au moins pour effet de priver de prières, dans la rediffusion de la communion des saints, ceux qui en ont sûrement un plus grand besoin que lui. Mais je voudrais dire seulement deux choses dans ce témoignage :

- j’ai vu Dieu le purifier comme par le feu, à la manière du saint homme Job ;

- et il m’a semblé que son épreuve avait quelque chose de sacerdotal. 

 

 

I – L’amour de Dieu s’est appliqué à lui comme sur le Job de l’Écriture Sainte 


Ce que je sais de la vie de François-Xavier Gelin est qu’elle a été à bien des égards aussi comblée que celle de Job au temps de son opulence biblique.


Une vie comblée par les dons de la nature : ses talents de parole, d’écriture, de théâtre même, de geste, de verve, dans une tradition de culture sobre de la perfection, de justesse de la langue recherchée comme telle mais coulant comme de source, le tout accompagné d’un esprit percutant. Ce n’est pas trop dire qu’affirmer qu’il s’est placé intellectuellement dans la grande tradition humaniste française – celle des moralistes au sens du XVIIème siècle, amis des Grecs et plus encore de la vérité – mais qu’il l’a fait en appliquant aux jours d’aujourd’hui leur lucidité pessimiste en même temps que leur confiance inébranlable dans la saine raison, dans la cohérence, dans le bon sens. « Depuis longtemps, écrivait-il, je suis angoissé par l’état de décadence intellectuelle, morale et spirituelle de notre pays… Les processus de décadence ont ceci de trompeur qu’ils sont tout d’abord lents, très lents, indétectables par la majorité des esprits, même ceux réputés éclairés ; comme des fissures sur un mur, ils préparent l’écroulement final par glissements légers dont seul un œil prévenu et attentif décèle les tranquilles progressions ».


J’insiste, car ces dons de l’esprit et du cœur sont devenus fort rares : il était de la grande tradition française spécialement par le sens de l’honneur intellectuel et du refus de la bassesse : « L’honneur commande pour le moins, écrivait-il encore, de ne plus subir, silencieusement, les outrages faits à l’Intelligence. Si nous étions encore des hommes libres, certaines défaites de l’Esprit, organisées par nos "élites", nos ex-élites, nous jetteraient par millions dans les rues. [Mais les révoltes d’aujourd’hui] ne sont que serviles ».


Une vie comblée aussi en sa famille : son épouse, ses six enfants, serrés autour de lui comme une couronne. Etres divers et libres, à son image, qui prouvent qu’il est encore possible aujourd’hui de transmettre ce que l’on a reçu, et surtout de transmettre le sentiment de la transmission, la conscience d’être, je le cite encore, « les débiteurs insolvables de nos pères ».


Une vie comblée de bien d’autres richesses humaines et chrétiennes encore, celles d’une vie liturgique consolante qu’il pratiquait avec assiduité au milieu du naufrage du culte divin, celles d’un rayonnement intellectuel discret mais fructueux, celles d’une régularité en tout qui s’alliait avec une très séduisante originalité.


Tout cela, il lui a été demandé de l’abandonner. Comme le saint homme Job qui reçoit par des annonces graduelles que tout lui est retiré, François-Xavier Gelin a appris successivement que la mort était dans sa chair, ensuite que les délais possibles se dérobaient l’un après l’autre, enfin que l’échéance était là. « Dieu m’a tout donné ; Dieu m’a tout repris, disait Job : que son saint nom soit béni ». La manière visible et édifiante dont François-Xavier Gelin acceptait vaillamment ces visites de l’ange était de garder l’humour, héroïquement ou tout simplement comme lorsque deux jours avant sa mort il m’accueillait avec le sourire : « Je suis encore là ! »


Dieu seul peut nous purifier non seulement de nos péchés, mais surtout de ce qui est en le principe et qui adhère à nous comme la peau colle à la chair, à savoir de notre amour-propre. Il veut, pour ceux qu’il aime, qu’ils ne cherchent même plus à se consoler du regard admiratif d’autrui. Il est impressionnant de voir ainsi la main de Dieu s’appliquer de manière apparemment cruelle mais en fait tendrement amoureuse à une âme pour la rendre cristalline, tout en lui prodiguant le soutien sans lequel elle ne pourrait pas supporter cette action divine.


Il disait vers la fin, en le montrant d’ailleurs le moins possible, qu’il souffrait non pas dans un endroit de son corps, mais partout : « De la racine des cheveux à la plante des pieds, il n’y a plus en lui rien de sain », dit Isaïe décrivant le Serviteur souffrant, le Christ à venir, parole que Job accablé s’applique à lui-même. Il a demandé à François-Xavier Gelin d’être un autre Christ sur une autre croix, et surtout d’en avoir vive conscience. 

 

 

II – Une fin sacerdotale 


Je lui rappelais quelques semaines avant son départ – nous parlions des vocations – la brève et très forte parabole énoncée par le Christ avant sa Passion : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » (Jn, 12, 24). Car tous les hommes sans exception tombent en terre lors de l’inévitable mort humaine qui achève leur parcours ici-bas, mais c’est trop souvent pour y rester seuls, de la terrible solitude qui est l’absence éternelle de Dieu. En revanche, ceux qui tombent en terre en mourant ou en achevant de mourir à eux-mêmes, ceux-là portent beaucoup de fruit. « Vous le réalisez », lui ai-je dit. « Je l’espère », m’a-t-il répondu avec cette voix appliquée et pénétrée qu’il avait à la fin pour dire juste : la confiance et l’humilité, en l’espèce, appliquées à accepter la Passion.


Je lui parlais modestement, car il n’est pas aisé de parler aux autres de leurs croix, de son identification à Jésus-Christ dans son sacrifice. Il m’a semblé qu’il a été vécu par lui sous un aspect que je dirais sacerdotal. J’entends bien qu’il était époux et père de famille, et que telle était bien sa vocation sur la terre. Mais Dieu lui a demandé de souffrir sa dernière maladie comme s’il célébrait en sa chair une messe unie à celle de Notre-Seigneur sur le Golgotha, afin d’en appliquer les fruits tout autour de lui, avec intention de le faire.


Cette inquiétude scrupuleuse qu’il avait d’embrasser, dans les actes d’offrande qu’il faisait de ses souffrances, tous ses proches, tous ses amis, toutes les intentions de l’Église et de la France, les vocations sacerdotales et religieuses, ressemblait un peu à celle du prêtre qui ne veut oublier personne dans le memento de sa messe.


Il savait spécialement qu’il participait à l’engendrement spirituel de son fils, futur prêtre, de sa fille, déjà engagée dans la profession religieuse définitive, et aussi de bien d’autres appels à la vie consacrée, auxquels Dieu fait participer les âmes qui lui sont proches dans le mystère des échanges de la communion des saints.

 

Sa prière, les yeux fermés, pénétré de la présence de Jésus-Christ qu’il venait de recevoir dans la communion, les prières vocales qu’il prononçait seul ou avec ceux qui l’entouraient, étaient comme une prolongation sur le lit de l’hôpital de la prière du prêtre à l’autel.


Et au dernier soir, alors que l’ombre de la mort était déjà sur lui, parfaitement conscient et remuant les lèvres pour dire avec moi les prières qu’il ne pouvait plus prononcer intelligiblement, je lui ai donné en viatique une minuscule parcelle d’hostie destinée à fondre sur sa langue. De sorte que son corps à l’agonie est resté longuement, jusqu’à ce que les espèces se dissolvent, le tabernacle de son Dieu.  

 

Il a reçu cette dernière communion de sa vie terrestre quelques douze heures avant sa mort. Une heure à peine après qu’elle soit survenue, j’ai célébré la messe pour le repos de son âme. Entre les deux, il avait comparu devant son Seigneur, et commencé à participer à cette Messe éternelle, cette offrande sans fin par laquelle le Christ continue auprès de son Père la Messe du Golgotha et de nos églises.


« Je serai la Lumière de ton âme » : que Dieu fasse tout de suite à François-Xavier Gelin la grâce d’une participation entière au ministère des anges. Et qu’il soit loué, ce Dieu de tendresse et de miséricorde, pour les merveilles qu’il accomplit sous nos pauvres yeux dans les âmes qu’il aime.
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