ET CA, C'EST SUR QUOI ?

Publié le par François-Xavier Gaëtan Gelin

Mademoiselle Lola Doillon, dont l'un des premiers mérites est d'être la fille de son père Jacques, auteur sur l'écran, paraît-il, "de petits joyaux sur les mondes enfantins et adolescents" (dixit Emmanuel Hecht dans Les Echos du 14 juin dernier), vient de commettre un premier long métrage délicatement (et judicieusement, "c'est bon pour la recette cocotte") intitulé : "Et toi, t'es sur qui ?". "Tout en finesse" si l'on en croit toujours Monsieur Hecht. 


Il s'agit de conter l'histoire, assurément passionnante, de deux "copines" de 15 ans qui ont décidé de perdre leur virginité. 
Je n'ai pas vu cette chose impérissable et je me fais un devoir de ne jamais la voir et d'en parler pourtant. Outre que mon temps et mon argent me sont comptés, ce qui ne me distingue pas du commun des mortels, il y a déjà belle lurette qu'il est urgent, 9,9 fois sur 10 de se dispenser de mettre les pieds dans une salle obscure, car l'on sait d'avance que l'on va y découvrir tout, sauf ce qu'il serait si agréablement surprenant de pouvoir qualifier d'oeuvre cinématographique. J'y reviendrai dans une chronique ultérieure.


Ce qui m'intéresse ici, c'est le conditionnement du lecteur opéré par les critiques y compris dans un journal par ailleurs très crédible comme Les Echos mais qui, lui aussi, sur le plan culturel, abandonne ses pages dédiées à des manipulateurs qui semblent devoir d'autant plus célébrer une impression sur pellicule que celle-ci est esthétiquement sans intérêt et moralement condamnable.


Dans le cas d'espèce, il nous est clairement suggéré que ce film "restitue avec une grande justesse le monde adolescent". Il est en effet bien connu que toutes les jeunes filles, à 15 ans, décident de "coucher avec un garçon avant les vacances". Monsieur Hecht constate avec un regret que l'on ne peut que partager que "ces choses-là ne sont pas toujours faciles et ne se passent pas forcément avec qui l'on souhaite et dans les conditions rêvées" (sic). C'est pas juste, en effet !  (J'espère que Nicolas Sarkozy qui est sur tous les coups [ne voyez-là, cher lecteur, aucune allusion graveleuse], a une solution de "rupture" à proposer).


Je serais pourtant enclin à penser que  les jeunes filles, certes "travaillées" par les transformations que l'adolescence leur fait subir, attendent plutôt de rencontrer le Prince Charmant auquel sans doute, par les temps qui courent, elles se donneraient facilement par amour, sans éprouver plus avant son attachement réel (et en oubliant selon toute vraisemblance de lui demander, le dit Prince Charmant ayant accumulé les conquêtes de Princesses Gracieuses, d'enfiler un préservatif, acte d'un romantisme appuyé à l'heure de l'élan amoureux), mais en souhaitant vivement que ce soit pour la vie. C'est en tout cas tout ce que les enquêtes anonymes confirment, depuis des années, y compris pour les jeunes garçons plus soucieux encore de vérifier rapidement leurs capacités viriles que ces demoiselles de s'assurer de leurs pouvoirs de séduction, mais tout aussi tentés de fonder une famille avec  la femme de leur vie dont ils espèrent qu'elle sera la première.


On est loin de l'univers de Mademoiselle Doillon même s'il est vrai que les jeunes adolescentes sont bien formatées, ce à quoi cette dame ne fait d'ailleurs que contribuer, pour considérer comme une tare d'être encore pucelles à 17 ans (voire plus, quelle horreur !), que donc un bon nombre d'entre elles, aliénées, se sentent tenues de se conformer au mot d'ordre dominant.
Le film de Lola Doillon a été projeté au Festival de Cannes dans la section "un certain regard". Il pourrait s'agir d'un regard incertain...  


Emmanuel Hecht a trouvé les dialogues "drôlatiques". Il nous laisse en juger : "'T'as niqué Batman ?', demande un garçon à un autre, en jetant une oeillade du côté Julie-la gothique, toute de noir vêtue et fardée. 'Les gothiques , c'est des meufs faciles! Genre tête de mort à l'extérieur et toutes soumises à l'intérieur', répond l'autre, qui apparemment n'en sait rien." Hilarant, en effet.


Dans 20 minutes, le journal à portée de millions de gens dans le métro, Caroline Vié, journaliste au sus-dit, qui titre, sans rire, son article Premiers sentiments prometteurs, nous apprend d'une part, que "ces enfants du siècle sont filmés avec un naturel dénué de pudibonderie" (vous pouvez être assuré d'une séance de voyeurisme), d'autre part, que cette "chronique sensible explore la carte du tendre". Je l'invite à se cultiver en lisant Madeleine de Scudéry (1607-1701) à laquelle elle se réfère sans le savoir sans doute. Elle découvrira que dans Clélie les "préliminaires" sont particulièrement longs, décourageants pour tout dire, et l'espoir de consommation, avant les vacances et même après, fort contrarié. 


Lola assume d'être la fille de Jacques : "Si j'avais voulu me démarquer, ll ne me restait plus qu'à réaliser des westerns, des films d'horreur et de cul !" Ah !... parce que "Et toi, t'es sur qui ?" n'est pas un film de...  ?
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R
Juste une petite réflexion inspirée par la démarche, à savoir juger un film qu’on n’a pas vu, ou plus exactement et en l’occurrence, jugé les critiques d’un film qu’on a lu. Cela sous-entends, et c’est là l’intéressant, pouvoir juger ce qui n’est pas expérimenté, idée allant à l’encontre même de la pensée dominante. Je suis pourtant bien d’accord avec la démarche, le jugement ne nécessite pas l’expérience, c’est là une grande erreur. Il réclame la compréhension. La véritable vertu est alors d’expliquer, d’analyser ce qu’on a compris et s’en tenir là.  La tâche est suffisamment ardue, cette ambition suffit à un seul être. Avoir ce don si précieux de savoir dire « je ne sais pas », ou encore, « je n’ai pas d’avis sur cette question ». Ah si ce don pouvait être plus couru, on aurait la paix !
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F
Excusez-moi, mais je n'ai finalement pas compris si vous approuviez ma démarche (le début de votre propos me l'a fait croire), ou si vous la trouviez immodeste (ce que suggéreraient vos dernières phrases). 
P
J'aime beaucoup votre nouvelle présentation.
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F
Merci. J'ai notamment changé le fond (que j'avais retenu il y a quelques semaines), car un lecteur m'a écrit pour me dire que c'était plus difficile à lire pour les personnes dont la vue baissait.
V
Le cas que vous citez montre des critiques particulièrement abrutis par un système de pensée, quoique nous pourrions y voir en un sens une quête de la simplicité et de la pureté... quête merveilleuse mais pervertie dans le cas présent.<br /> <br /> Enfin, il reste encore d'excellents films au cinéma, Dieu merci ! Il ne faut pas s'arrêter aussi catégoriquement à des critiques telles que celles que vous avez lues.
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F
Certes, il se produit encore des films aussi excellents que rares. Pour le reste, des critiques élogieuses, comme celles que j'ai mises en avant dans cet article, à titre d'exemple parmi des centaines d'autres, sont légions. Elles trompent et conditionnent des millions de spectateurs.