UN DISCOURS MODELE

Publié le par François-Xavier Gaëtan Gelin

Le Journal des maires, dans son édition de juillet-août 2008, propose à ses lecteurs, pour l'essentiel édiles municipaux, on veut bien le croire, un "modèle de discours pour la Fête nationale du 14 juillet".
Initiative cocasse à l'usage des premiers magistrats de communes en panne d'imagination.
Comment faut-il interpréter cette proposition ? Zèle éditorial ? Prise de conscience d'un terrible affaiblissement de la logorrhée républicaine ? Simple bourde, fruit de la distraction, vexante pour le public visé ?
Toujours est-il qu'un certain Bruno Cohen-Bacrie, de son état professionnel directeur de la communication de la ville d'Echirolles, se dévoue. Et voici ce qu'il écrit :


En introduction, il manque franchement d'inspiration (et il prend vraiment les élus pour des déficients), en leur rappelant lourdement de commencer par ces phrases usées jusqu'à la dernière lettre : "Je tiens tout d'abord à vous remercier très sincèrement de votre présence [remarquez c'est mieux que le célèbre : 'd'être venus si nombreux', souvent prononcé en face de quatre pelés et de deux tondus] devant ce monument aux morts, devant (il ne soigne pas le style, Bruno) lequel, plusieurs fois par an, avec la même solennité et la même ferveur, nous nous rassemblons pour ce devoir de mémoire".


Si l'on en croit M. Cohen-Bacrie, "dans chaque ville, dans chaque village, nous marquons notre attachement aux valeurs fortes que symbolise cette date [le 14 juillet], valeurs qui sont celles de notre République : la liberté, l'égalité et la fraternité, devise que nous trouvons aux frontons de nos mairies" (M. Cohen-Bacrie est un fin observateur de bâtiments publics). Le 14 juillet, symbole des valeurs républicaines ? Et il insiste : " Dois-je rappeler que le premier 14 juillet, c'est bien sûr celui de 1789..." Première erreur : si la Fête nationale a été fixée au 14 juillet, c'est, officiellement, en souvenir de celui de 1790, celui de la Fête de la Fédération, quand le roi, encore applaudi et reconnu, était en quelque sorte "annexé" par le mouvement révolutionnaire. Mais il est vrai, que ce 14 juillet-là n'est pas choisi innocemment, il entretient avec le précédent un rapport étroit et si le roi est encore respecté, ses jours de règne, et de vie, sont déjà comptés par certains.
Mais ne chipotons pas, oui M. Cohen, la République nous propose bien de glorifier le 14 juillet 1789.


Et comment ce cher homme décrit-il ce jour béni ? Selon la meilleure tradition républicaine, bien sûr : " les émeutiers, venus chercher à la Bastille des armes pour riposter aux troupes du roi, s'emparent alors de la prison, symbole du pouvoir absolutiste. Cet événement eut dans notre pays et dans toute l'Europe un retentissement considérable. Il s'agit d'un acte fondateur de la démocratie en France qui inspira de nombreux mouvements politiques en Europe et dans le monde au XIXe siècle et jusqu'au XXe siècle". C'est lui faire beaucoup d'honneur.



Depuis le 12 juillet, une série d'émeutes fait suite à l'annonce du renvoi de Necker. Des armureries sont pillées. Cette violence est peu, ou pas, réprimée par le pouvoir royal, de plus en plus impuissant. Partout les émeutiers réclament des armes, et au matin du 14 juillet, ils pénètrent dans les Invalides et s'emparent des trente à quarante mille fusils qui se trouvaient là, des canons et d'un mortier.
Désolé M. Cohen-Bacrie, mais votre pauvre justification, parée des attributs de l'autodéfense (!), ne tient pas la route un seul instant.


La Bastille n'a pas été prise. Elle s'est rendue. Son gouverneur, le marquis de Launay, accepta dans l'après-midi la reddition de la prison en échange de la promesse qu'il ne sera fait aucun mal à la garnison.
En fait, Launay, battu, est massacré au sabre. Sa tête coupée est promenée au bout d'une pique bientôt accompagnée de celle du prévôt des marchands. Détail appétissant, on boit le sang des victimes.
Dans ce "symbole du pouvoir absolutiste", il y avait sept détenus : quatre faussaires, deux fous et le comte de Solages. Funk-Brentano, qui a fouillé les archives de la Bastille, constate "qu'il n'y avait pas un lieu de détention en Europe, où les prisonniers fussent entourés d'autant d'égard et de confort ; il n'y en a pas aujourd'hui".


Une émeute sanguinaire, "acte fondateur de la démocratie" ? Voilà qui est inquiétant, M. Cohen-Bacrie. Lequel cite Henri Martin, rapporteur au Sénat de la loi de 1880, qui fait du 14 juillet la journée de la Fête nationale annuelle : "Ce jour-là la Révolution a donné à la France conscience d'elle-même". Au vu des faits, on croit rêver en lisant cela.


Et puis, pêle-mêle, notre nègre mélange déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen (ceux de M. de Launay, et de quelques autres, semblent avoir été singulièrement malmenés), démocratie, et sacrifices rappelés devant le monument aux morts, qui relèvent pourtant d'un patriotisme dont on voit mal en quoi le 14 juillet est la matrice originelle.
M. Cohen-Bacrie affirme avec inquiétude que tous les idéaux républicains sont "à diffuser encore et toujours", idéaux "que la Révolution pensait avoir consacrés mais qui ne protégèrent pas notre pays de nouveaux et sanglants épisodes comme la Terreur ou la Commune". Parce que le 14 juillet 1789, ce n'est pas le début de la Terreur et la répétition de la Commune ?


Ce discours suranné, ronronnant, fondé sur des mythes, sur une Histoire réinventée, trafiquée, fait apparaître en pleine lumière que la célébration du 14 juillet est moins celle d'une journée française, que de l'idéologie installée.
On n'échappe pas au retour, un jour ou l'autre, du réel. Mais pendant combien de temps encore abusera-t-on de la crédulité des Français, à Echirolles et ailleurs ?
 Pour plus de développements sur ces sujets, je renvoie mes récents lecteurs aux chroniques que j'ai déjà réservées à la démocratie et aux "liberté, égalité, fraternité".
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