D'UNE EPITAPHE

Publié le par François-Xavier Gaëtan Gelin

Au cimetière Montparnasse à Paris, repose Gus, dessinateur, humoriste, romancier, peintre, ... il avait de nombreuses cordes à son arc. Sur sa tombe, à côté d'une photo qui présente son visage rond, souriant et sympathique, figure ceci : "Il était au-dessus de ces religions qui font se battre les hommes. Lui, il avait trouvé la plus belle : il aimait tout le monde. Aimez-vous les uns les autres et priez pour lui selon votre foi".
Cet hommage, très complaisant, mérite que l'on s'y arrête. Il est riche de significations, d'interprétations, de contradictions, de confusions, d'ambiguïtés. Il est bien de notre époque en quelque sorte. (Gus est décédé en 1997). Je ne me prononce pas, évidemment, sur l'adéquation entre ces affirmations et la personnalité de Gus. J'analyse cliniquement ces phrases pour elles-mêmes, pour le message, universel, qu'elles entendent visiblement délivrer.


"Ces religions qui font se battre les hommes" : on retrouve ce relativisme cher aux contemporains qui place toutes les croyances sur le même plan. En l'occurrence ici, si toutes les religions se valent, elles ne valent pas grand-chose puisqu'elles "font se battre les hommes". On n'en serait donc plus à l'aimable lieu commun selon lequel "il y a du bon dans toutes les religions" (n'est-ce pas mon cher monsieur), mais plutôt à : "Il y a surtout du mauvais dans chaque religion".
C'est une idée assez ancrée que la religion, en soi, est facteur de guerre. Si l'on en croit ceux qui vont l'affirmant, c'est l'athéisme ou l'indifférentisme, ce qui revient au même, qui est source de paix. Historiquement cela mérite sans aucun doute d'être démontré. Le communisme et le national-socialisme, systèmes athées par excellence, l'ont-ils été ? Il est vrai que certains soutiendront aussitôt que ces deux idéologies étaient des "religions". Des substituts de religions, notamment en terme de messianisme, sûrement. Mais sauf, encore une fois, à détourner le sens des mots, une religion est ce qui relie l'homme à une puissance (ou des puissances) supérieure qui n'est pas sur terre, et généralement en vue de son humble soumission à des devoirs plus qu'à des droits.
Sans faire ici le tri entre les différentes religions des hommes, force est de reconnaître que sous diverses formes, dans des conditions différentes, avec des intensités variables, elles prônent souvent la maîtrise de soi, le détachement des biens matériels, la bienveillance, le secours mutuel, etc... toutes attitudes qui, normalement, ne font pas "se battre les hommes" et ont eu pour effet, de fait, d'éviter bien des affrontements ou d'en modérer l'ardeur. Certes, elles rentrent aussi en concurrence entre elles, certaines sont les schismes d'autres et cela entraîne des conflits. Parfois sanglants. Les hommes se hissent rarement à la hauteur des excellents principes qu'ils professent. Mais quand ils n'ont pas de principes transcendants par quel miracle cela irait-il mieux ? De plus peut-on mettre sur le même plan, toujours, partout, et pour toutes les religions, les excès des uns, croyants, et les excès des autres, incroyants ?
Réserver aux religions, en quelque sorte, le monopole de la génération de la violence entre les hommes est pour le moins paradoxal.


Il faudrait aussi s'interroger sur la nature de cette guerre.
S'agit-il de la guerre qu'infligeraient les croyants, armés de leurs certitudes fanatiques, à qui se permet de douter, ou de celle que ceux qui doutent ont souvent imposée aux croyants ?
Par exemple, il me semble incontestablement vrai, sur le plan historique, que les chrétiens ont eu bien plus à souffrir de tous ceux qui s'opposaient à leur existence, qu'ils n'ont eux-mêmes persécuté autrui. Et à ce propos, deux remarques : d'une part, Jésus-Christ a lui même annoncé à ses disciples, de son temps et à venir, la guerre, qu'ils auraient beaucoup à endurer à cause de Lui et qu'Il serait un signe de contradiction partout et toujours. En ce sens ce ne sont pas les religions qui "font se battre les hommes", ce serait plutôt le refus des hommes de les admettre. D'autre part, un chrétien persécuteur ne se comporte pas en chrétien. La faute est sur lui, pas en la foi qu'il proclame.


Il est vrai que l'on va me répondre que l'on peut se passer de religion, c'est même préférable pour beaucoup, et avoir de bons comportements humains. C'est ainsi que notre défunt "était au-dessus de ces religions", et que "lui, avait trouvé la plus belle : il aimait tout le monde".
C'est la prétention, assez amusante, de croire que l'on vient d'inventer tout seul un nouveau rapport aux autres. Corollaire du relativisme, l'individualisme s'épanouit. Est-ce une religion que "d'aimer tout le monde" ? Tout au plus une attitude, peut-être inspirée par une solide éducation... religieuse. Gus a aimé "tout le monde"", vraiment ?
Je lui présente mes plus vives félicitations admiratives. Sauf que là aussi on voudrait s'assurer que l'on parle le même langage. Aujourd'hui, le verbe "aimer" sert à couvrir bien des passions totalement égoïstes, coupables, voire criminelles ; un inventaire est nécessaire. 
Soit, apprécions ce "il aimait tout le monde", à la lumière explicative de ce qui suit : "Aimez-vous les uns les autres", paroles du Christ lui-même, tiens ! Mais sans doute ne faut-il pas conclure trop vite : il est vraisemblable que l'on procède ici, à la subtile distinction entre Jésus-Christ et la religion chrétienne, pour mieux les opposer puisque l'on a affirmé plus haut que les religions "font se battre les hommes".
Bien sûr on pourrait alors donner une interprétation chrétienne de cet ensemble : "Ces religions" ne seraient pas "toutes les religions", mais uniquement celles "qui font se battre les hommes". "La plus belle" serait alors la religion chrétienne qui , elle, prône de s'aimer "les uns les autres". Mais je pense vraiment que ce n'est pas la bonne exégèse du texte. Il s'agit bien plutôt de l'expression d'une "foi" sans religion, autrement dit d'un non-sens absolu.


La dernière phrase "priez pour lui selon votre foi" est proprement déroutante compte-tenu de ce qui précède. Pourquoi prier pour Gus ? Je veux dire, du point de vue de Gus ou de ceux qui écrivent pour lui, cela a-t-il un sens ? La "religion" "la plus belle" qu'avait trouvée Gus n'est-elle pas d'abord un art de vivre sur terre, humain, trop humain, pour être heureux sur terre, avant de disparaître, sous terre ?
Quant au "selon votre foi", cette ultime et étonnante concession, au delà du télescopage de voeux contradictoires de tous ceux qui voudront bien satisfaire à cette invitation, il est l'enfant souvent né de l'union du relativisme et de l'individualisme, un conciliant syncrétisme. A moins qu'il ne s'agisse d'un "placement" spirituel à toutes fins (dernières) utiles.


Encore une fois, la sincérité, la gentillesse de ceux des amis de Gus qui ont fait inscrire ces propos ne sont pas en cause. Mais, qu'ils me pardonnent, tout cela est frappé de puérilité, de sentimentalisme et à la racine de tout, d'absence de réflexion bien sûr, ainsi hautement significatif du désordre actuel des esprits.

Publié dans Autres chroniques

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